Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/172

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me tourmente pas inutilement, reprit-elle ; je n’ai pas d’autre explication à donner.

— Tu as grand tort de te conduire ainsi, tu nous feras regretter notre indulgence, dit plus doucement madame Gérard, arrêtée par les inconvénients que pouvait avoir une querelle. J’espère que l’influence de ton père sera plus forte que la mienne, car j’imagine que tu ne m’aimes pas beaucoup, puisque j’ai si peu de succès auprès de toi. »

Elle la quitta, lui laissant dans la poitrine ce dernier petit trait qui avait porté. Henriette crut avoir froissé le cœur de sa mère.

Madame Gérard dit à son mari :

« Elle ne veut pas descendre, nous ne pouvons pas être a la merci de ses caprices, il faut qu’elle soit là lorsque M. Mathéus vient.

— Comment ! dit Pierre avec une ironie pleine d’une satisfaction secrète, vous qui menez toujours tout comme voulez, vous n’avez pas pu persuader votre fille !

— Et vous, répliqua la femme irritée, quel rôle avez-vous pris ? Il semble que rien ne vous regarde. Dès qu’il s’agit de se donner de la peine, d’essuyer des désagréments, on a bien soin de m’en laisser le fardeau.

— Bah ! dit Pierre, à chacun selon ses capacités !

— C’est cet esprit de plaisanteries qui encourage mes enfants à résister à mes volontés. Voulez-vous pourtant marier votre fille ou non ? »

Pierre haussa les épaules, ce qui était son geste habituel.

« On croirait que vous n’en avez pas un vif désir.

— Eh ! dit Pierre, vous avez tracé le sillon, ensemencez-le. J’approuve toujours tout ce que vous faites, parce que vous faites toujours tout très bien.

— Oh ! certainement, reprit madame Gérard, vous ne m’avez habituée qu’à compter sur mes seules forces.

— Vous le savez, je ne suis qu’un paysan. Je ne sais pas me mêler à toutes ces petites manœuvres délicates ; elles sont votre affaire. Je ne m’occuperai que du gros.

— Mon Dieu, si j’avais voulu, dit madame Gérard, j’aurais fait descendre Henriette sur-le-champ.