Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/207

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rien. On laisserait donc toujours sa sœur se livrer à ce qui lui passait par la tête ? Henriette continuait à dominer, mener toute la maison. On ne s’occupait que d’elle. Elle avait encore, ce soir-là, joué le grand rôle. Il n’y avait eu d’yeux et d’oreilles que pour elle. La maison ne serait-elle pas continuellement troublée tant qu’on l’y garderait ? Son père et sa mère ne voyaient donc pas clair ? Il finirait par les avertir. Henriette était si mauvaise qu’elle ne chercherait qu’à faire manquer le mariage. Mais en même temps, quel délicieux dédommagement il avait eu dans l’amabilité de madame Vieuxnoir ! C’était là une femme d’esprit, de belle conversation, et qui devinait si bien Henriette !

Aristide s’endormit, ayant l’image de la petite avocate au-dessus de son chevet, et en se disant : « Que de charmes, que de génie ! »

Quant à M. Vieuxnoir, la tête sur l’oreiller, il somma sa femme de ne rien révéler, afin qu’elle ne lui fît pas perdre sa clientèle des Tournelles par des propos indiscrets. Cette bonne raison n’était pas un mors suffisant pour réfréner la langue de la jeune femme. En promettant le silence à son mari, madame Vieuxnoir se fit intérieurement la réserve que, si elle rencontrait quelqu’un qui connût un seul petit point de l’histoire, elle ne serait plus tenue au secret.

« Monsieur a l’air malade ! dit à Mathéus son valet de chambre quand il le vit entrer.

— Ah ! mon pauvre Baptiste ! répondit le vieillard, la jeune fille a aimé un jeune homme !

— Eh bien, il ne faut pas que Monsieur l’épouse !

— Si, si, je l’épouserai ! Mais, s’écria-t-il tout à coup en pleurant à chaudes larmes, c’est une humiliation, c’est une humiliation !

— Qu’est-il donc arrivé à Monsieur ?

— C’est ce qu’elle m’a dit, c’est ce qu’elle m’a dit… »

Les émotions de Mathéus épuisaient ses vieilles forces ; il tenait à la Charmeraye avec le cerveau sérieusement détraqué. Le pauvre vieux imbécile était pris par l’amour, comme un homme qui a mis le bras dans un engrenage de machine à vapeur, et dont tout le corps est forcé de suivre