Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/229

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qu’un pis-aller. Il valait mieux ne compter que sur soi-même.

M. Mathéus revint : il apportait un gros bouquet qu’il offrit à Henriette de son air éternellement suppliant.

Ce soir-là il n’y avait que la mère, la fille et lui.

Sa résignation toucha Henriette, qui en eut pitié et se promit d’être moins dure, sachant qu’un peu de politesse ou de douceur envers le vieux homme ne changerait pas les résolutions qu’elle avait prises. « Et puisque mes résolutions ne changeront jamais, réfléchit-elle, je puis éviter les embarras accessoires d’une lutte en feignant jusqu’au bout d’être bien disposée. Quand le moment sera venu, je ferai écrouler toutes les illusions, d’autant plus facilement qu’on m’aura crue convertie et qu’on ne prendra plus garde à moi. » Puis elle se dit quelle pouvait essayer de dégoûter Mathéus en se montrant à lui sous des côtés intéressés, avides, mauvais, ne l’estimant pas assez pour se soucier de son estime.

Elle prit toutefois très froidement les fleurs, parce qu’elle avait réellement de la peine à se montrer gracieuse, tant le vieux Mathéus lui déplaisait.

« Elles sont très belles, dit-elle.

— Je les ai cueillies moi-même, » reprit Mathéus.

Henriette ne répondit pas. Le pauvre homme se brisait la tête à pénétrer ces caprices, qu’il attribuait à une nature de chat.

Il fit à la jeune fille des compliments sur sa broderie, et comme elle avait du fil à dévider, il lui présenta ses mains peur ce petit office. Il cherchait dans les moindres choses des indices de paix, et il n’osait pas se plaindre, même le plus doucement, des bourrades du lundi.

Néanmoins la gaîté ne se développait pas dans le salon entre ces trois personnages. Madame Gérard parlait autant qu’elle pouvait, mais Mathéus laissait tomber la conversation de la mère pour regarder la fille, ses petites mains, ses cheveux, son cou. Madame Gérard s’effaçait, mais tremblant que quelque phrase pareille à un coup de marteau ne fût assénée à Mathéus par Henriette.

Le vieillard avait ruminé le projet d’amener la jeune fille à la Charmeraye pour lui faire reconnaître ce qui devait être à