Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/284

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rita de ce qu’elle appelait sa démoralisation. Ses nerfs étaient excités, sa tête lui faisait mal. Ses yeux, secs, fatigués, rougis la brûlaient. Elle songea qu’elle s’était humiliée inutilement, elle si inflexible, et un sentiment aigu d’agression contre tout le monde lui donnait une sorte de fièvre. Elle ne pouvait rester en place et avait envie de redescendre pour jeter quelque insulte cruelle à Mathéus, dont la nature mesquine la révoltait. Elle ne se consolait pas d’avoir imploré ce vieil être ridicule et aveuglé.

Tandis qu’Henriette marchait agitée dans sa chambre, Aristide entra tout grave. Il s’arrêta d’abord assez gêné, les bras pendants.

« Que veux-tu ? demanda Henriette, d’un ton équivalent à un coup de fouet soudain.

— Je viens te parler raison, » dit Aristide d’une voix et d’une allure grossières.

Ayant vu rentrer sa sœur, il avait jugé à propos de lui faire la morale ce jour-là. Il se sentait en verve. La bienveillance de madame Vieuxnoir avait affranchi ce garçon et le rendait hardi comme un coq.

La double part d’héritage qui devait lui revenir si Henriette se mariait dansait devant lui toute la journée avec de petits grelots et des paillettes, et il trouvait que la question ne se tranchait pas assez vite. Aristide espérait donc obtenir son argent d’Henriette par la finesse de ses raisonnements, ainsi qu’une fraternelle et menteuse tendresse qu’il lui montrerait. Ses projets de douceur furent dérangés par l’accueil de sa sœur.

Quand il eut répondu qu’il venait parler raison, Henriette éclata d’un rire violent, railleur, prolongé, capable d’exaspérer le bois ou la pierre.

« Ah c’est trop fort ! s’écria-t-elle ; lui aussi !

— Oui, oui, reprit Aristide s’avançant furieux ; tu as beau me regarder comme un imbécile, tout le monde n’est pas comme toi.

— Après cela, interrompit Henriette, tu veux peut-être me conter que tu es brouillé avec Perrin, que ton cheval boite, que Jean s’est battu avec la cuisinière…