Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/291

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Ah ! combien je donnerais, s’écria-t-il, pour ne jamais vous entendre dire que vous êtes malheureuse ! »

Henriette crut que le vieillard allait la fatiguer de nouveau de ses déclarations.

« Il recommencera toujours, » pensa-t-elle, et elle le quitta.

Mathéus revint vers madame Gérard.

« On a donc bien tourmenté Henriette ? » demanda-t-il.

Madame Gérard secoua la tête et parut devenir si sombre que le curé lui en fit l’observation.

« Hélas ! dit-elle, il est pénible de voir qu’on fait des rêves de bonheur et de paix intérieure si faciles à réaliser et qui cependant ne se réalisent point. — C’est une expiation ! »

Pierre laissa échapper une grimace que, seul, le président surprit au passage.

M. de Neuville constatait avec souci que l’ancien et agréable train de la maison était bien changé.

Quant à Mathéus, madame Gérard n’avait plus besoin d’excuser ou de justifier la conduite d’Henriette envers lui : le vieillard s’acharnait de lui-même sans qu’il fût nécessaire de l’aiguillonner.

En partant ensemble ce soir-là, le président et le curé, ayant parlé d’Henriette, finirent par se donner le bras, pour la première fois de la vie, réunis contre l’ennemi commun qui les avait blessés tous deux.

Pierre dit à sa femme en se moquant : « Ça va bien ! ah ! ça va bien !

— Eh bien, oui, dit-elle, il sera superbe d’en venir à bout. Cette lutte ne me déplaît pas. »

Le curé avoua au président qu’il ne se souciait guère plus de se frotter à Henriette, dont l’abord était si fâcheux. Sa confidence réveilla la malignité de M. de Neuville, endormie par les malheurs de la soirée. Il conseilla vivement au prêtre de ne pas renoncer à sa mission, et le détermina à se sacrifier pour ramener la fille de madame Gérard au bien.

Henriette commençait à apparaître à sa famille comme une espèce de loup ou de sanglier.

Cependant la jeune fille jugeait qu’elle avait encore échoué.