Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/303

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était effrayé des dispositions de la famille, qui présageaient de grands changements. La possibilité d’être séparé de son amie vint poindre à ses yeux. Il demanda à madame Gérard, un matin, ce qu’elle comptait faire lorsque Henriette serait mariée. Elle répondit qu’on irait probablement s’installer à la Charmeraye. M. de Neuville comprit que la littérature lui resterait peut-être seule pour asile. Sa figure allongée trahissait les méditations soucieuses où le jetait la pensée de ces troubles prochains de son existence.

Le jeu n’avait de charmes que pour Aristide et Mathéus. Le premier était forcené au gain, et le second y trouvait une occasion d’être assis à côté d’Henriette. Il déployait une foule d’attentions muettes qu’elle était obligée de subir. Ils s’associaient pour la partie, et le vieillard emportait le paradis dans son cœur.

Lorsque les vieillards deviennent amoureux d’une jeune fille, ils sont comme les enfants qui tiennent des oiseaux dans leurs mains. Ils les serrent si fort, de peur de les lâcher, qu’ils les étouffent.

Depuis quelque temps, les journées étaient pluvieuses. Des teintes grises couvraient le ciel ; le vent sifflait dans les arbres, dont les feuilles, toujours secouées, rendaient un bruissement monotone et engourdissant. Les allées se remplissaient de flaques d’eau. Beaucoup de fleurs, de petites plantes, se couchaient sur le côté, flétries et portant des milliers de gouttelettes pendues à leurs tiges. Le sable était sillonné, roulé, enlevé çà et là, amassé plus loin. Les nuages bas et lourds oppressaient. On aurait craint qu’ils ne vinssent, jusqu’à terre, tout envelopper de brouillard.

Au milieu de juin, le froid obligeait à entretenir du feu et à reprendre les habits d’hiver.

Il fallait vivre renfermés ensemble encore davantage. Henriette passait des heures entières à regarder, à travers les vitres, le parc bouleversé, les nuages courant vite, les oiseaux, le jardinier et les domestiques, qui seuls mettaient le pied dehors.

Les mêmes influences d’atmosphère agissaient sur Émile.