Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/305

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entra, franchit l’allée tournante, déboucha devant la maison, et la première apparition qu’il vit fut le profil de madame Gérard. Elle travaillait derrière la fenêtre de son boudoir, dont elle avait relevé les rideaux.

Émile frémit, mais eut l’audace folle de marcher jusqu’au perron. Le sable cria sous ses pas, madame Gérard tourna la tête vers lui ; elle ne le reconnut pas tout à fait, et cependant ouvrit vivement la croisée. Elle devinait un danger.

Émile, cloué, pétrifié, ébloui par le bourdonnement de son sang dans ses oreilles et ses yeux, la salua.

Elle le reconnut.

« Qu’osez-vous venir faire ici ? » cria-t-elle, furieuse.

Émile ne vit plus clair : il se croyait entraîné parmi un écroulement immense.

« Ah ! c’est vrai ! Madame », dit-il, pris d’un vertige.

Dans le désordre de son malheureux esprit, cela signifiait :

« C’est vrai, j’ai tort, je le reconnais ; je m’en vais, puisque vous me barrez le chemin ! »

Accablé d’une stupeur qui le rendait chancelant, Émile reprit l’allée tournante, éprouvant une sensation étrange, qui, absorbant toutes les autres, était intense, sans limites, atroce. Il croyait sentir derrière lui les deux yeux de la terrible mère d’Henriette, comme deux instruments de mort ou de blessure, d’où allaient s’élancer sur lui je ne sais quels bizarres et redoutables projectiles.

De semblables secousses peuvent donner la fièvre chaude. Peut-être n’était-il pas assez vigoureux, heureusement, pour en devenir la victime. Cependant sa respiration saccadée, ses jambes coupées, sa gorge desséchée, ses mains, son front brûlants, lui restaient comme les stigmates de ses souffrances intérieures.

Lorsqu’il revint chez lui, sa mère s’écria :

« Tu ne peux toujours me mentir ou te taire… ; tu es encore blessé, je suis sûre, malheureux enfant !

— Ah ! s’écria aussi Émile, ah ! si tu m’avais aidé, comme auraient fait tant de mères ! »

Il accusait la sienne, ne sachant à quoi se raccrocher, dé-