Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son est devenue honteuse, je ne veux plus y rester, je ne suis plus de votre famille.

— Ne restons pas, dit madame Gérard, cette folle nous massacrerait.

— Mais nous ne pouvons pas laisser son mari ! » répéta Pierre, indécis.

Aristide se tenait plus près de la porte que les autres, se rongeant les ongles par contenance et ayant peur.

« Ah ! dit Henriette en haussant les épaules, je ne l’assassinerai pas, soyez-en sûrs ; allez, partez, que je ne vous revoie plus, que je n’entende plus parler de vous ! »

Tous trois redescendirent, consternés, parlant bas.

« Que va-t-elle faire ? demanda Pierre.

— Heureusement, j’ai la donation, répondit madame Gérard ; il y aura procès ! »

« Oh ! je ne me consolerai jamais, se disait Henriette, d’avoir eu peur d’un peu de pluie et de boue ; il n’a pas eu peur de mourir ! Si j’avais eu la force que je me sens maintenant ! Ah ! sans tous ces êtres qui m’ont fait perdre la tête, qui m’ont étourdie, harcelée, traquée !… Mais je ne m’excuserai jamais… Qu’on demande à la mère ce qu’elle pense de moi ! »

Henriette marchait, se tordait presque, et cherchait vainement, par une agitation nerveuse, à calmer les douleurs qu’elle ressentait. Un empoisonnement ne l’eût pas fait tant souffrir et jetée tant de fois d’un coin de la chambre à l’autre, d’une chaise sur le lit, de la cheminée au tapis.

Enfin, ses nerfs épuisés restèrent dans une espèce d’atonie causée par l’excès d’excitation ; elle se calma un peu et eut pitié du vieux Mathéus. Henriette le releva, lui frotta les tempes avec du vinaigre et le fit revenir à lui.

Mais il paraissait hébété. Elle le questionna :

« Souffrez-vous ? »

Il répondit par un murmure incompréhensible comme celui d’un enfant, et en la regardant fixement, d’une manière inquiète et heureuse en même temps. Il ne parlait plus.