Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/49

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le plus distingué de la ville. On lui sut gré de ses petites fêtes, et, comme on apprit bientôt que madame Gérard était contrariée de tout ce manège, on mit un peu de malice à aller chez madame Baudouin.

Attiré par le mouvement de la foule, le curé de Saint-Anselme manifesta naïvement l’intention d’entrer en relations avec la nouvelle venue ; le président parla aussi de la voir, puisqu’il devait rencontrer dans son salon les personnes qu’il fréquentait habituellement. Madame Gérard, fort irritée, le leur défendit positivement. Elle voyait une petite guerre dans les manifestations de madame Baudouin, et elle redoubla d’activité ; elle inventa à la fois une loterie de bienfaisance et une exposition d’horticulture, prenant magistralement le pas sur rivale. Madame Gérard suivit, de plus, une autre voie pour guerroyer : elle se posa en pénitente austère, prétendit que c’était elle qui avait refusé d’aller chez la veuve, et déclara tout haut que madame Baudouin vivait trop luxueusement pour quelqu’un qui fait profession de charité. Elle l’attaqua aussi sur son bon goût, et tâcha d’éveiller la susceptibilité des provinciales contre ses prétentions. En même temps, la dévotion de madame Baudouin excita la sienne, et les deux curés ne s’en trouvèrent point mal.

Du reste, l’abbé Euphorbe Doulinet s’était donné une mission à accomplir ; il s’affirmait tous les jours à lui-même que, s’il allait si souvent aux Tournelles, ce n’était que pour y combattre le péché ; mais peut-être se trompait-il un peu, car le péché ne reculait pas devant lui, et le pauvre curé ne pressait pas assez vivement madame Gérard d’y renoncer. En effet, si elle s’accusait de sa faiblesse passée envers le président de Neuville, de temps à autre aussi elle parlait vaguement de fautes nouvelles. Peut-être le curé ne se sentait-il pas assez de force pour briser un de ces attachements dont les dernières convulsions ne finissent pas. Il est certain que, de loin en loin, M. de Neuville et madame Gérard avaient, pendant quatre ou cinq jours de suite, un air singulièrement contrit vis-à-vis l’un de l’autre, un air penaud comme des gens attrapés. Ces époques indéterminées formaient même une petite saison de maximes, parce que la mère y sentait