Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/51

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est-ce ? Cette malheureuse femme revient-elle aux bons sentiments ? »

L’abbé Doulinet répondait : « Elle est pleine de bonne volonté, elle pleure ; mais les passions mondaines sont si tenaces ! »

Les dévotes faisaient alors des neuvaines à l’église pour l’âme de madame Gérard. Elles faillirent rédiger une lettre pour la supplier de rentrer dans la bonne voie. Le curé donnait force pénitences à madame Gérard, mais il abordait très timidement la question de rupture. Le doux personnage craignait de n’être pas assez éloquent pour agir sur un être aussi supérieur. Sa nature caressante, son caractère serviteur, ne lui inspiraient pas l’énergie. Enfin, par ses atermoiements, il avait l’avantage de meubler petit à petit son pauvre Saint-Anselme tout nu, et il se laissait dominer par ce terrible raisonnement : « Si elle n’était pas un peu coupable, elle n’aurait pas à apaiser sa conscience. Or, les dons qu’elle fait à l’église du Seigneur rachètent en partie ses fautes. » Et il expliquait avec attendrissement aux dévotes le système de rédemption que représentaient la chaire, les bénitiers de marbre et les tableaux donnés par madame Gérard.

Le curé était bien tombé, car personne n’est mieux disposé à meubler les églises nues que les femmes un peu légères et attardées dans la légèreté. Elles ne croient pas précisément avec une foi bien ardente, mais elles veulent se concilier le bon Dieu, dans le cas où tout ce qu’on en dit serait vrai. Elles prennent leurs précautions et ne renoncent pas au monde. De sorte qu’il n’existe pas d’association plus avantageuse pour chacun des associés, que celle d’une femme ainsi troublée et d’un prêtre réparateur. Celle-là y gagne le ciel sans perdre ses amants ; celui-ci fait prospérer sa fabrique et sauve une âme.

Madame Gérard mettait de l’art à se confesser au curé. Elle pensait bien que ses contritions devaient transpirer dans la ville et pouvaient lui attirer quelque intérêt de la part des dévotes, et elle craignait que l’abbé Durieu et madame Baudouin ne lui enlevassent ces complaisantes spectatrices de son rôle de Madeleine, à l’attention desquelles elle tenait beaucoup.