Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que, et, lâchant son ami, il s’en alla presque tomber à la renverse, tant il riait aussi. Perrin se releva humilié, et il eut une courbature qui dura huit jours, après laquelle Aristide l’obligea à reprendre ses études. Mais Perrin ne pouvait s’élever au-dessus de la culbute vulgaire, et souffrait des reproches que lui faisaient Jean et la cuisinière sur son inaptitude.

« Qu’est-ce que vous voulez, disait-il : on a le don ou on ne l’a pas. »

Quant au président, il avait un faible tout spirituel pour Henriette. Il éprouvait un plaisir singulier à voir la jeune fille. Tout fin qu’il croyait être, M. de Neuville n’était pas homme à comprendre d’où venait ce plaisir. Il n’eût jamais pensé que la sensation de repos et de fraîcheur qui le gagnait lorsqu’il contemplait Henriette était analogue à celle qu’on éprouve en été lorsqu’on quitte un terrain sec, aride et grillé, pour entrer sous un bois plein d’ombre. Tous les visages des Tournelles, y compris le sien, étaient secs, arides et grillés. Henriette, du reste, avait soin de ne montrer dans ses manières aucune répugnance visible pour lui, afin qu’on ne reconnût pas quelle science du bien et du mal elle possédait.

M. de Neuville aimait à faire parler la jeune fille, la regardait longuement et se sentait l’envie de lui écrire des odes. Les magistrats deviennent souvent disciples d’Horace, lisent, admirent et relisent Horace ; de là en eux un tendre de sentiments tout païen et mythologique, des idées de couronnes de roses, de Cécube et de Falerne.

Mais, d’un autre côté, madame Gérard était mécontente des attentions de M. de Neuville pour sa fille, et elle les observait soigneusement et silencieusement.