Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/95

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— Vous aimez à vous amuser, dit le curé qu’embarrassait toujours la manière de raisonner de ce jeune homme déraisonnable ; c’est bien permis, lorsque cela ne fait de mal à personne.

— Monsieur l’abbé, reprit Aristide, j’ai mes chagrins comme les autres !

— Mon cher enfant, répondit le curé, il faut savoir les supporter.

— Voilà ce que c’est, dit Aristide : je suis l’homme, je suis l’aîné : pourquoi suis-je mal partagé ? c’est injuste. Personne ne me fait jamais de compliments. Henriette a tout. On est toujours après elle, à l’admirer. Il me semble que c’est moi qui aurais dû avoir l’avantage. »

Le curé ne prenait pas Aristide au sérieux, mais il avait peur de ses farces grossières ; ne se sentant pas la force de remettre un peu de clarté dans cet esprit troublé, il se retrancha derrière la religion.

« Dieu a ses raisons pour tout, lui dit-il ; ce qui paraît mal fait est bien fait. Ce dont vous vous plaignez est probablement un bien.

— Pourtant, dit Aristide, si c’était moi qui avais su dessiner, faire de la musique, lire des vers, parler de tout, quel mal ça aurait-il pu me faire ?

— Ce sont, dit le curé, des dons brillants, mais dangereux ; il faut se féliciter plutôt de ne pas les avoir.

— Bon ! dit Aristide, triomphant de se raccrocher à une logique évidente, c’est donc dangereux pour ma sœur ? Pourquoi les lui a-t-on appris, alors ?

— Madame votre mère est trop sage, trop supérieure, pour n’avoir pas élevé mademoiselle votre sœur comme il convenait.

— Si ma mère a bien fait de faire apprendre tout ça à Henriette, ce n’est pas dangereux, et il serait plus juste que ce fût moi qui eusse ces talents-là. »

Le curé ne fut pas content de s’être laissé ramener au point de départ du débat, par Aristide. Il avait envie d’entrer au salon le plus vite possible, mais l’autre le tenait et semblait commencer à le considérer comme une espèce de sot.