Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
ÉDOUARD.

auquel on n’avait jamais besoin de penser. Je sentais mon attachement pour lui croître chaque jour, et il paraissait touché du dévoûment que je lui montrais. J’allais quelquefois chez mon oncle M. d’Herbelot, et j’y retrouvais la même gaîté, le même mouvement qui m’avaient tant déplu à mon arrivée à Paris. Mon oncle ne concevait pas que je fusse heureux dans cet intérieur grave de la famille de M. le maréchal d’Olonne, et moi, je comparais intérieurement ces deux maisons tellement différentes l’une de l’autre. Quelque chose de bruyant, de joyeux, faisait de la vie chez M. d’Herbelot comme un étourdissement perpétuel. Là, on ne vivait que pour s’amuser, et une journée qui n’était pas remplie par le plaisir paraissait vide ; là, on s’inquiétait des distractions du jour autant que de ses nécessités, comme si l’on eût craint que le temps qu’on n’occupait pas de cette manière ne se fût pas écoulé tout seul. Une troupe de complaisants, de commensaux, remplissaient le salon de M. d’Herbelot, et paraissaient partager tous ses goûts : ils exerçaient sur lui un empire auquel je ne pouvais m’habituer ; c’était comme un appui que cherchait sa faiblesse. On aurait dit qu’il n’était jamais sûr de rien sur sa propre foi ; il lui fallait le témoignage des autres. Toutes les phrases de M. d’Herbelot commençaient par ces mots : « Luceval et Bertheney trouvent, Luceval et Bertheney disent ; »