Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
OURIKA.

davantage. » Je rendis mes visites au couvent de plus en plus fréquentes, le traitement que j’indiquai parut produire quelque effet. Enfin, un jour de l’été dernier, la retrouvant seule dans le même berceau, sur le même banc où je l’avais vue la première fois, nous reprîmes la même conversation, et elle me raconta ce qui suit.


Je fus rapportée du Sénégal à l’âge de deux ans par M. le chevalier de B., qui en était gouverneur. Il eut pitié de moi, un jour qu’il voyait embarquer des esclaves sur un bâtiment négrier qui allait bientôt quitter le port : ma mère était morte, et on m’emportait dans le vaisseau, malgré mes cris. M. de B. m’acheta, et à son arrivée en France, il me donna à madame la maréchale de B., sa tante, la personne la plus aimable de son temps, et celle qui sut réunir, aux qualités les plus élevées, la bonté la plus touchante. Me sauver de l’esclavage, me choisir pour bienfaitrice madame de B., c’était me donner deux fois la vie : je fus ingrate envers la Providence en n’étant point heureuse ; et cependant le bonheur résulte-t-il toujours de ces dons de l’intelligence ? Je croirais plutôt le contraire : il faut payer le