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OURIKA.

mon pays, mais là encore j’aurais été isolée : qui m’aurait entendue, qui m’aurait comprise ? Hélas ! je n’appartenais plus à personne, j’étais étrangère à la race humaine tout entière ! Ce n’est que bien longtemps après que je compris la possibilité de me résigner à un tel sort. Madame de B. n’était point dévote ; je devais à un prêtre respectable, qui m’avait instruite pour ma première communion, ce que j’avais de sentiments religieux. Ils étaient sincères comme tout mon caractère ; mais je ne savais pas que, pour être profitable, la piété a besoin d’être mêlée à toutes les actions de la vie ; la mienne avait occupé quelques instants de mes journées, mais elle était demeurée étrangère à tout le reste. Mon confesseur était un saint vieillard, peu soupçonneux, je le voyais deux ou trois fois par an, et, comme je n’imaginais pas que des chagrins fussent des fautes, je ne lui parlais pas de mes peines. Elles altéraient sensiblement ma santé ; mais, chose étrange ! elles perfectionnaient mon esprit. Un sage d’Orient a dit : « Celui qui n’a pas souffert, que sait-il ? » Je vis que je ne savais rien avant mon malheur ; mes impressions étaient toutes des sentiments ; je ne jugeais pas, j’aimais ; les discours, les actions, les personnes plaisaient et déplaisaient à mon cœur. À présent, mon esprit s’était séparé de ces mouvements involontaires : le chagrin est comme l’éloignement, il fait juger l’ensemble des