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OURIKA.

pour elle le père, la mère qu’elle a perdus ; mais je serai aussi son mari, son amant ! Elle me donnera son premier amour ; tout son cœur s’épanchera dans le mien ; nous vivrons de la même vie, et je ne veux pas que, dans le cours de nos longues années, elle puisse dire qu’elle ait passé une heure sans être heureuse. Quelles délices, Ourika, de penser qu’elle sera la mère de mes enfants, qu’ils puiseront la vie dans le sein d’Anaïs ! Ah ! ils seront doux et beaux comme elle ! Qu’ai-je fait, ô Dieu ! pour mériter tant de bonheur ! » Hélas ! j’adressais en ce moment au ciel une question toute contraire ! Depuis quelques instants j’écoutais ces paroles passionnées avec un sentiment indéfinissable. Grand Dieu ! vous êtes témoin que j’étais heureuse du bonheur de Charles ; mais pourquoi avez-vous donné la vie à la pauvre Ourika ? pourquoi n’est-elle pas morte sur ce bâtiment négrier d’où elle fut arrachée, ou sur le sein de sa mère ? Un peu de sable d’Afrique eût recouvert son corps, et ce fardeau eût été bien léger ! Qu’importait au monde qu’Ourika vécût ? Pourquoi était-elle condamnée à la vie ? C’était donc pour vivre seule, toujours seule ; jamais aimée ! Ô mon Dieu, ne le permettez pas ! Retirez de la terre la pauvre Ourika ! Personne n’a besoin d’elle ; n’est-elle pas seule dans la vie ? Cette affreuse pensée me saisit avec plus de violence