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Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/56

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OURIKA.

âme, j’avais couru après les jouissances de la vie, et j’en avais négligé le bonheur. Mais il n’est pas encore trop tard ; Dieu, en me jetant sur cette terre étrangère, voulut peut-être me destiner à lui ; il m’arracha à la barbarie, à l’ignorance ; il me déroba aux vices de l’esclavage, et me fit connaître sa loi ; cette loi me montre tous mes devoirs ; elle m’enseigne ma route ; je la suivrai, ô mon Dieu ! je ne me servirai plus de vos bienfaits pour vous offenser, je ne vous accuserai plus de toutes mes fautes. Ce nouveau jour sous lequel j’envisageais ma position fit rentrer le calme dans mon cœur, je m’étonnais de la paix qui succédait à tant d’orages : on avait ouvert une issue à ce torrent qui dévastait ses rivages, et maintenant il portait ses flots apaisés dans une mer tranquille. Je me décidai à me faire religieuse. J’en parlai à madame de B… ; elle s’en affligea, mais elle me dit : « Je vous ai fait tant de mal en voulant vous faire du bien, que je ne me sens pas le droit de m’opposer à votre résolution. » Charles fut plus vif dans sa résistance ; il me pria, il me conjura de rester ; je lui dis : Laissez-moi aller, Charles, dans le seul lieu où il me soit permis de penser sans cesse à vous… Ici la jeune religieuse finit brusquement son récit. Je continuai à lui donner des soins : malheureusement, ils furent inutiles, elle mourut à la fin d’octobre ; elle tomba avec les dernières feuilles de l’automne.