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ÉDOUARD.

Je suis le fils d’un célèbre avocat au parlement de Paris ; ma famille est de Lyon, et, depuis plusieurs générations, elle a occupé les plus utiles emplois réservés à la haute bourgeoisie de cette ville. Un de mes grands-pères mourut victime de son dévoûment dans la maladie épidémique qui désola Lyon en 1748. Son nom révéré devint dans sa patrie le synonyme du courage et de l’honneur. Mon père fut de bonne heure destiné au barreau ; il s’y distingua, et acquit une telle considération qu’il devint d’usage de ne se décider sur aucune affaire de quelque importance sans la lui avoir soumise. Il se maria déjà vieux à une femme qu’il aimait depuis longtemps ; je fus leur unique enfant. Mon père voulut m’élever lui-même ; et lorsque j’eus dix ans accomplis, il se retira avec ma mère à Lyon, et se consacra tout entier à mon éducation. Je satisfaisais mon père sous quelques points ; je l’inquiétais sous d’autres. Apprenant avec une extrême facilité, je ne faisais aucun usage de ce que je savais. Réservé, silencieux, peu confiant, tout s’entassait dans mon esprit et ne produisait qu’une fermentation inutile et de continuelles rêveries. J’aimais la solitude, j’aimais à voir le soleil couchant ; je serais resté des journées entières, assis sur cette pointe de sable qui termine la presqu’île où Lyon est bâtie, à regarder se mêler les eaux de la Saône et du Rhône, et à sentir ma pen-