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ÉDOUARD.

été dit, assurait mon père ; mais la manière de dire est inépuisable. Madame de Nevers se mêlait à cette conversation. Je me souviens qu’elle dit qu’elle était née défiante, et qu’elle ne croyait que l’accent et la physionomie de ceux qui lui parlaient. Elle me regarda en disant ces mots ; je me sentis rougir, elle sourit ; peut-être vit-elle en ce moment en moi la preuve de la vérité de sa remarque. Depuis ce jour, je retournai chaque jour à l’hôtel d’Olonne. Habituellement peu confiant, je n’eus pas à dissimuler : l’idée que je pusse aimer madame de Nevers était si loin de mon père qu’il n’eut pas le moindre soupçon ; il croyait que je me plaisais chez M. le maréchal d’Olonne, où se réunissait la société la plus spirituelle de Paris, et il s’en réjouissait. Mon père assurément ne manquait ni de sagacité ni de finesse d’observation ; mais il avait passé l’âge des passions, il n’avait jamais eu d’imagination, et le respect des convenances régnait en lui à l’égal de la religion, de la morale et de l’honneur ; je sentais aussi quel serait le ridicule de paraître occupé de madame de Nevers, et je renfermais au fond de mon âme une passion qui prenait chaque jour de nouvelles forces. Je ne sais si d’autres femmes sont plus belles que madame de Nevers ; mais je n’ai vu qu’à elle cette réunion complète de tout ce qui plaît. La finesse de l’esprit, et la simplicité du cœur ; la dignité du main-