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ÉDOUARD.

cinquante minutes pour venir de Versailles ; il entrait sa montre à la main, en racontant une histoire ridicule, ou je ne sais quelle folie qui faisait rire tout le monde. Généreux, magnifique, le duc de L. méprisait l’argent et la vie ; et quoiqu’il prodiguât l’un et l’autre d’une manière souvent indigne du prix du sacrifice, j’avoue à ma honte que j’étais séduit par cette sorte de dédain de ce que les hommes prisent le plus. Il y a de la grâce dans un homme à ne reconnaître aucun obstacle ; et quand on expose gaîment sa vie dans une course de chevaux, ou qu’on risque sa fortune sur une carte, il est difficile de croire qu’on n’exposerait pas l’un et l’autre avec encore plus de plaisir dans une occasion sérieuse. L’élégance du duc de L. me convenait donc beaucoup plus que les manières, un peu compassées, du prince d’Enrichemont ; mais je n’avais qu’à me louer de tous deux. Les bontés de M. le maréchal d’Olonne m’avaient établi dans sa société de la manière qui pouvait le moins me faire sentir l’infériorité de la place que j’y occupais. Je n’avais presque pas senti cette infériorité dans les premiers jours ; maintenant elle commençait à peser sur moi ; je me défendais par le raisonnement ; mais le souvenir de madame de Nevers était encore un meilleur préservatif. Il m’était bien facile de m’oublier quand je pensais à elle, et j’y pensais à chaque instant. Un jour, on avait parlé