Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
93
ÉDOUARD.

dans un vieux château, au fond du Limousin, et je me le rappelle jusque dans ses moindres détails, quoique je fusse si jeune : je vois encore la vieille futaie de châtaigniers, et ces grandes salles gothiques boisées de chêne et ornées de trophées d’armes, comme au temps de la chevalerie. Je trouve qu’on aime les lieux comme des amis, et que leur souvenir se rattache à toutes les impressions qu’on a reçues. — Je croyais cela autrefois, lui répondis-je ; maintenant je ne sais plus ce que je crois, ni ce que je suis. Elle rougit, puis elle me dit : — Cherchez dans votre mémoire ; peut-être trouverez-vous les faits, si vous avez oublié les sentiments qu’ils excitaient dans votre âme. Si vous voulez que je pense quelquefois à vous quand vous serez parti, il faut bien que je sache où vous prendre, et que je n’ignore pas comme à présent tout le passé de votre vie. J’essayai de lui raconter mon enfance, et tout ce que contient le commencement de ce cahier ; elle m’écoutait avec attention, et je vis une larme dans ses yeux, quand je lui dis quelle révolution avait produite en moi l’accident de ce pauvre enfant dont j’avais sauvé la vie. Je m’aperçus que mes souvenirs n’étaient pas si effacés que je croyais, et près d’elle je trouvais mille impressions nouvelles d’objets qui jusqu’alors m’avaient été indifférents. Les rêveries de ma jeunesse étaient comme expliquées par le sen-