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ÉDOUARD.

que l’amour cherche dans la mort ; il recule devant un cercueil solitaire. À Lyon, je retrouvai les bords du Rhône et mes rêveries, et madame de Nevers régna dans mon cœur plus que jamais. J’étais loin d’elle, je ne risquais pas de me trahir, et je n’opposais aucune résistance à la passion qui venait de nouveau s’emparer de toute mon âme. Cette passion prit la teinte de mon caractère. Livré à mon unique pensée, absorbé par un seul souvenir, je vivais encore une fois dans un monde créé par moi-même, et bien différent du véritable ; je voyais madame de Nevers, j’entendais sa voix, son regard me faisait tressaillir ; je respirais le parfum de ses beaux cheveux. Ému, attendri, je versais des larmes de plaisir pour des joies imaginaires. Assis sur une pierre au coin d’un bois, ou seul dans ma chambre, je consumais ainsi des jours inutiles. Incapable d’aucune étude et d’aucune affaire, c’était l’occupation qui me dérangeait ; et malgré que je susse bien que mon retour à Paris dépendait de la fin de mes affaires, je ne pouvais prendre sur moi d’en terminer aucune. Je remettais tout au lendemain ; je demandais grâce pour les heures, et les heures étaient toutes données à ce délice ineffable de penser sans contrainte à ce que j’aimais. Quelquefois on entrait dans ma chambre, et on s’étonnait de me voir impatient et contrarié, comme si l’on m’eût interrompu. En ap-