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pour l’humanité, telle que la France se la représente dans ses rapports avec elle.

Pourtant, cette vérité d’évidence a été généralement méconnue, surtout au cours des derniers siècles. Philosophes et pédagogues sont d’accord pour voir, dans l’éducation, une chose éminemment individuelle. « Pour Kant, écrit Durkheim, pour Kant comme pour Mill, pour Herbart comme pour Spencer, l’éducation aurait avant tout pour objet de réaliser, en chaque individu, mais en les portant à leur plus haut point de perfection possible, les attributs constitutifs de l’espèce humaine en général. » Mais cet accord n’est pas une présomption de vérité. Car nous savons que la philosophie classique a presque toujours oublié de considérer l’homme réel d’un temps et d’un pays, le seul qui soit observable, pour spéculer sur une nature humaine universelle, produit arbitraire d’une abstraction faite, sans méthode, sur un nombre très restreint d’échantillons humains. On admet généralement aujourd’hui que son caractère abstrait a faussé, dans une large mesure, la spéculation politique du xviiie siècle, par exemple : individualiste à l’excès, trop détachée de l’histoire, elle légifère souvent pour un homme de convention, indépendant de tout milieu social défini. Les progrès qu’ont accompli, au xixe siècle, les sciences politiques, sous l’influence de l’histoire et des philosophies inspirées de l’histoire, progrès vers lequel s’orientent, à la fin du siècle, toutes les sciences morales, la philosophie de l’éducation doit l’accomplir à son tour.

L’éducation est chose sociale : c’est-à-dire qu’elle met en contact l’enfant avec une société déterminée, et non avec la société in genere. Si cette proposition est vraie, elle ne commande pas seulement la réflexion spéculative sur l’éducation, elle doit faire sentir son influence sur l’activité éducative elle-même. En fait, cette influence est incontestable ; en droit, elle est souvent