Page:Durkheim - Éducation et sociologie.djvu/64

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conservent presque intégralement et jusque dans le détail, grâce aux livres, aux monuments figurés, aux outils, aux instruments de toute sorte qui se transmettent de génération en génération, à la tradition orale, etc. Le sol de la nature se recouvre ainsi d’une riche alluvion qui va sans cesse en croissant. Au lieu de se dissiper toutes les fois qu’une génération s’éteint et est remplacée par une autre, la sagesse humaine s’accumule sans terme, et c’est cette accumulation indéfinie qui élève l’homme au-dessus de la bête et au-dessus de lui-même. Mais, tout comme la coopération dont il était d’abord question, cette accumulation n’est possible que dans et par la société. Car, pour que le legs de chaque génération puisse être conservé et ajouté aux autres, il faut qu’il y ait une personnalité morale qui dure par-dessus les générations qui passent, qui les relie les unes aux autres : c’est la société. Ainsi, l’antagonisme que l’on a trop souvent admis entre la société et l’individu ne correspond à rien dans les faits. Bien loin que ces deux termes s’opposent et ne puissent se développer qu’en sens inverse l’un de l’autre, ils s’impliquent. L’individu, en voulant la société, se veut lui-même. L’action qu’elle exerce sur lui, par la voie de l’éducation notamment, n’a nullement pour objet et pour effet de le comprimer, de le diminuer, de le dénaturer, mais, au contraire, de le grandir et d’en faire un être vraiment humain. Sans doute il ne peut se grandir ainsi qu’en faisant effort. Mais c’est que précisément le pouvoir de faire