Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/266

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un affaissement complet de l’activité qui, ne pouvant s’employer utilement, s’effondre sur elle-même. Celle du second, au contraire, est faite d’espoir; car elle tient justement à ce que, au delà de cette vie, de plus belles perspectives sont entrevues. Elle implique même l’enthousiasme et les élans d’une foi impatiente de se satisfaire et qui s’affirme par des actes d’une grande énergie.

Du reste, à elle seule, la manière plus ou moins sombre dont un peuple conçoit l’existence ne suffit pas à expliquer l’intensité de son penchant au suicide. Le chrétien ne se représente pas son séjour sur cette terre sous un aspect plus riant que le sectateur de Jina. Il n’y voit qu’un temps d’épreuves douloureuses ; lui aussi juge que sa vraie patrie n’est pas de ce monde, et pourtant on sait quelle aversion le christianisme professe et inspire pour le suicide. C’est que les sociétés chrétiennes font à l’individu une bien plus grande place que les sociétés antérieures. Elles lui assignent des devoirs personnels à remplir auxquels il lui est interdit de se dérober; c’est seulement d’après la manière dont il s’est acquitté du rôle qui lui incombe ici-bas qu’il est admis ou non aux joies de l’au-delà, et ces joies elles-mêmes sont personnelles comme les œuvres qui y donnent droit. Ainsi, l’individualisme modéré qui est dans l’esprit du christianisme la empêché de favoriser le suicide, en dépit de ses théories sur l’homme et sur sa destinée.

Les systèmes métaphysiques et religieux qui servent comme de cadre logique à ces pratiques morales achèvent de prouver que telle en est bien l’origine et la signification. Depuis longtemps, en effet, on a remarqué qu’elles coexistent généralement avec des croyances panthéistes. Sans doute le jaïnisme, comme le bouddhisme, est athée ; mais le panthéisme n’est pas nécessairement théiste. Ce qui le caractérise essentiellement, c’est cette idée que ce qu’il y a de réel dans l’individu est étranger à sa nature, que l'âme qui l’anime n’est pas son âme et que, par conséquent, il n’a pas d’existence personnelle. Or, ce dogme est à la base des doctrines hindoues; on le trouve déjà dans le brahmanisme. Inversement, là où le principe des êtres ne se