Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/316

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Il n’est pas douteux que le changement de régime moral et matériel, qui est la conséquence du divorce, doit être pour quelque chose dans ce résultat. Mais il ne suffit pas à l’expliquer. En effet, le veuvage est un trouble non moins complet de l’existence; il a même, en général, des suites beaucoup plus douloureuses puisqu’il n’était pas désiré par les époux, tandis que, le plus souvent, le divorce est pour eux une délivrance. Et pourtant, les divorcés qui, en raison de leur âge, devraient se tuer deux fois moins que les veufs, se tuent partout davantage, et jusqu’à deux fois plus dans certains pays. Cette aggravation, qui peut être représentée par un coefficient compris entre 2,5 et 4, ne dépend aucunement de leur changement d’état.

Pour en trouver les causes, reportons-nous à l'une des pro-positions que nous avons précédemment établies. Nous avons vu au chapitre troisième de ce même livre que, pour une même société, la tendance des veufs pour le suicide était fonction de la tendance correspondante des gens mariés. Si les seconds sont fortements protégés, les premiers jouissent d’une immunité moindre, sans doute, mais encore importante, et le sexe que le mariage préserve le mieux est aussi celui qui est le mieux préservé à l’état de veuvage. En un mot, quand la société conjugale est dissoute par le décès de l’un des époux, les effets qu’elle avait par rapport au suicide continuent à se faire sentir en partie sur le survivant (*). Mais alors n’est-il pas légitime de supposer que le même phénomène se produit quand le mariage est rompu, non par la mort, mais par un acte juridiqae et que l’aggravation dont souffrent les divorcés est une conséquence, non du divorce, mais du mariage auquel il a mis fin? Elle doit tenir à une certaine constitution matrimoniale dont les époux continuent à subir Tinfluence, alors même qu’ils sont séparés. S’ils ont un si violent penchant au suicide, c’est qu’ils y étaient déjà fortement enchns alors qu’ils vivaient ensemble et par le fait même de leur vie commune. Cette proposition admise, la correspondance des divorces et

(1) V. plus haut, p. 203.