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INTRODUCTION.

successivement pour chaque période décennale, 23,18 ; 23,72 ; 22,87. Mais d’abord, c’est déjà un fait remarquable que le suicide ait, d’une année à la suivante, un degré de constance au moins égal, sinon supérieur, à celui que la mortalité générale ne manifeste que de période à période. De plus, le taux moyen de la mortalité n’atteint à cette régularité qu’en devenant quelque chose de général et d’impersonnel qui ne peut servir que très imparfaitement à caractériser une société déterminée. En effet, il est sensiblement le même pour tous les peuples qui sont parvenus à peu près à la même civilisation ; du moins, les différences sont très faibles. Ainsi, en France, comme nous venons de le voir, il oscille, de 1841 à 1870, autour de 23 décès pour 1.000 habitants ; pendant le même temps, il a été successivement en Belgique de 23,93, de 22,5, de 24,04 ; en Angleterre de 22,32, de 22,21, de 22,68 ; en Danemark de 22,65 (1845-49), de 20,44 (1855-59), de 20,4 (1861-68). Si l’on fait abstraction de la Russie qui n’est encore européenne que géographiquement, les seuls grands pays d’Europe où la dîme mortuaire s’écarte d’une manière un peu marquée des chiffres précédents sont l’Italie où elle s’élevait encore de 1861 à 1867 jusqu’à 30,6 et l’Autriche où elle était plus considérable encore (32,52)[1]. Au contraire le taux des suicides, en même temps qu’il n’accuse que de faibles changements annuels, varie suivant les sociétés du simple au double, au triple, au quadruple et même davantage (V. Tableau III, p. 14). Il est donc, à un bien plus haut degré que le taux de la mortalité, personnel à chaque groupe social dont il peut être regardé comme un indice caractéristique. Il est même si étroitement lié à ce qu’il y a de plus profondément constitutionnel dans chaque tempérament national, que l’ordre dans lequel se classent, sous ce rapport, les différentes sociétés reste presque rigoureusement le même à des époques très différentes. C’est ce que prouve l’examen de ce même tableau. Au cours des

  1. D’après Bertillon, article Mortalité du Dictionnaire Encyclopédique des sciences médicales, t. LXI, p. 738.