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Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/356

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334 LE SUICIDE. de Tacte qu’elles précèdent. Le rôle important qu’elles jouent parfois dans la délibération n’est pas une preuve deleur effica- cité. On sait, en effet, que les délibérations humaines, telles que les atteint la conscience réfléchie, ne sont souvent que de pure forme et n’ont d’autre objet que de corroborer une résolu- tion déjà prise pour des raisons que la conscience ne connaît pas. D’ailleurs, les circonstances qui passent pour causer le sui- cide parce qu’elles l’accompagnent assez fréquemment, sont en nombre presque infini. L’un se tue dans l’aisance, et l’autre dans la pauvreté; l’un était malheureux en ménage et l’autre venait de rompre par le divorce un mariage qui le rendait mal- heureux. Ici, un soldat renonce à la vie après avoir été puni pour une faute qu’il n’a pas commise; là, un criminel se frappe dont le crime est resté impuni. Les événements delà vie les plus divers et même les plus contradictoires peuvent également ser- vir de prétextes au suicide. C’est donc qu’aucun d’eux n’en est la cause spécifique. Pourrons-nous du moins attribuer cette causalité aux caractères qui leur sont communs à tous? Mais en est-il? Tout au plus peut-on dire qu’ils consistent généralement en contrariétés, en chagrins, mais sans qu’il soit possible de dé- terminer quelle intensité la douleur doit atteindre pour avoir cette tragique conséquence. Il n’est pas de mécompte dans la vie, si insignifiant soit-il, dont on puisse dire par avance qu’il nepaur ait, en aucun cas, rendre l’existence intolérable; il n’en est pas davantage qui ait cet eS’et nécessairement. Nous voyons des hommes résister à d’épouvantables malheurs, tandis que d’autres se suicident après de légers ennuis. Et d’ailleurs, nous avons montré que les sujets qui peinent le plus ne sont pas ceux qui se tuent le plus. C’est plutôt la trop grande aisance qui arme l’homme contre lui-même. C’est aux époques et dans les classes où la vie est le moins rude qu’on s’en défait le plus facilement. Du moins, si vraiment il arrive que la situation personnelle de la victime soit la cause efficiente de sa résolution, ces cas scat certainement très rares et, par conséquent, on ne saurait expli- quer ainsi le taux social des suicides.