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LE SUICIDE ET LES ÉTATS PSYCHOPATHIQUES.

par les fous, de constituer ainsi les types principaux de suicides vésaniques et de chercher si tous les cas de morts volontaires rentrent dans ces cadres nosologiques. En d’autres termes, pour savoir si le suicide est un acte spécial aux aliénés, il faut déterminer les formes qu’il prend dans l’aliénation mentale et voir ensuite si ce sont les seules qu’il affecte.

Les spécialistes se sont peu attachés, en général, à classer les suicides d’aliénés. On peut cependant considérer que les quatre types suivants renferment les espèces les plus importantes. Les traits essentiels de cette classification sont empruntés à Jousset et à Moreau de Tours[1].

I. Suicide maniaque. — Il est dû soit à des hallucinations, soit à des conceptions délirantes. Le malade se tue pour échapper à un danger ou à une honte imaginaires, ou pour obéir à un ordre mystérieux qu’il a reçu d’en haut, etc.[2]. Mais les motifs de ce suicide et son mode d’évolution reflètent les caractères généraux de la maladie dont il dérive, à savoir la manie. Ce qui distingue cette affection, c’est son extrême mobilité. Les idées, les sentiments les plus divers et même les plus contradictoires se succèdent avec une extraordinaire vitesse dans l’esprit des maniaques. C’est un perpétuel tourbillon. À peine un état de conscience est-il né qu’il est remplacé par un autre. Il en est de même des mobiles qui déterminent le suicide maniaque : ils naissent, disparaissent ou se transforment avec une étonnante rapidité. Tout à coup, l’hallucination ou le délire qui décident le sujet à se détruire apparaissent ; la tentative de suicide en résulte ; puis, en un instant, la scène change et, si l’essai avorte, il n’est pas repris, du moins pour le moment. S’il se reproduit plus tard, ce sera pour un autre motif. L’incident le plus insignifiant peut amener de ces brusques transformations. Un malade de ce genre, voulant mettre fin à ses jours, s’était jeté dans

  1. V. article Suicide du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique.
  2. Il ne faut pas confondre ces hallucinations avec celles qui auraient pour effet de faire méconnaître au malade les risques qu’il court, par exemple, de lui faire prendre une fenêtre pour une porte. Dans ce cas, il n’y a pas de suicide d’après la définition précédemment donnée, mais mort accidentelle.