Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà d’où vient que les théoriciens de l’animisme, quand ils cherchent les origines de la pensée religieuse, se contentent, en somme, à peu de frais. Quand ils croient avoir réussi à expliquer comment l’homme a pu être induit à imaginer des êtres aux formes étranges, vaporeuses, comme ceux que nous voyons en songe, le problème leur paraît résolu.

En réalité, il n’est même pas abordé. Il est inadmissible, en effet, que des systèmes d’idées comme les religions, qui ont tenu dans l’histoire une place si considérable, où les peuples sont venus, de tout temps, puiser l’énergie qui leur était nécessaire pour vivre, ne soient que des tissus d’illusions. On s’entend aujourd’hui pour reconnaître que le droit, la morale, la pensée scientifique elle-même sont nés dans la religion, se sont, pendant longtemps, confondus avec elle et sont restés pénétrés de son esprit. Comment une vaine fantasmagorie aurait-elle pu façonner aussi fortement et d’une manière aussi durable les consciences humaines ? Assurément, ce doit être pour la science des religions un principe que la religion n’exprime rien qui ne soit dans la nature ; car il n’y a science que de phénomènes naturels. Toute la question est de savoir à quel règne de la nature ressortissent ces réalités et ce qui a pu déterminer les hommes à se les représenter sous cette forme singulière qui est propre à la pensée religieuse. Mais pour que cette question puisse se poser, encore faut-il commencer par admettre que ce sont des choses réelles qui sont ainsi représentées. Quand les philosophes du xviiie siècle faisaient de la religion une vaste erreur imagi-

    que nous ferons (liv. III, chap. III, § III), elle n’a, par elle-même, rien de religieux ; elle n’appelle aucun culte. Il resterait donc que le système des symboles religieux et des rites, la classification des choses en sacrées et en profanes, tout ce qu’il y a de proprement religieux dans la religion ne répond à rien dans le réel. D’ailleurs, ce germe de vérité est aussi, et plus encore, un germe d’erreur ; car s’il est vrai que les forces de la nature et celles de la conscience sont parentes, elles sont aussi profondément distinctes, et c’était s’exposer à de singuliers mécomptes que de les identifier.