Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/116

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peut manquer de lui faire violence en quelque mesure et de la déformer. C’est une déformation de ce genre qui aurait fait le caractère singulier des représentations religieuses.

Penser, en effet, c’est ordonner nos idées ; c’est, par conséquent, classer. Penser le feu, par exemple, c’est le ranger dans telle ou telle catégorie de choses, de manière à pouvoir dire qu’il est ceci ou cela, ceci et non cela. Mais, d’un autre côté, classer, c’est nommer ; car une idée générale n’a d’existence et de réalité que dans et par le mot qui l’exprime et qui fait, à lui seul, son individualité. Aussi la langue d’un peuple a-t-elle toujours une influence sur la façon dont sont classées dans les esprits et, par conséquent, pensées les choses nouvelles qu’il apprend à connaître ; car elles sont tenues de s’adapter aux cadres préexistants. Pour cette raison, la langue que parlaient les hommes, quand ils entreprirent de se faire une représentation élaborée de l’univers, marqua le système d’idées qui prit alors naissance d’une empreinte ineffaçable.

Nous ne sommes pas sans avoir quelque chose de cette langue au moins pour ce qui regarde les peuples indo-européens. Si lointaine qu’elle soit, il en reste, dans nos langues actuelles, des souvenirs qui nous permettent de nous représenter ce qu’elle était : ce sont les racines. Ces mots-souches, d’où dérivent les autres vocables que nous employons et qui se retrouvent à la base de tous les idiomes indo-européens, sont considérés par Max Müller comme autant d’échos de la langue que parlaient les peuples correspondants avant leur séparation, c’est-à-dire au moment où se constitua cette religion de la nature qu’il s’agit précisément d’expliquer. Or les racines présentent deux caractères remarquables qui, sans doute, n’ont encore été bien observés que dans ce groupe particulier de langues, mais que notre auteur croit également vérifiables dans les autres familles linguistiques[1].

  1. Natural Rel., p. 393 et. suiv.