Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/12

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de guerre contre la religion. En tout cas, tel ne saurait être le point de vue d’un sociologue. C’est, en effet, un postulat essentiel de la sociologie qu’une institution humaine ne saurait reposer sur l’erreur et sur le mensonge : sans quoi elle n’aurait pu durer. Si elle n’était pas fondée dans la nature des choses, elle aurait rencontré dans les choses des résistances dont elle n’aurait pu triompher. Quand donc nous abordons l’étude des religions primitives, c’est avec l’assurance qu’elles tiennent au réel et qu’elles l’expriment ; on verra ce principe revenir sans cesse au cours des analyses et des discussions qui vont suivre, et ce que nous reprocherons aux écoles dont nous nous séparerons, c’est précisément de l’avoir méconnu. Sans doute, quand on ne considère que la lettre des formules, ces croyances et ces pratiques religieuses paraissent parfois déconcertantes et l’on peut être tenté de les attribuer à une sorte d’aberration foncière. Mais, sous le symbole, il faut savoir atteindre la réalité qu’il figure et qui lui donne sa signification véritable. Les rites les plus barbares ou les plus bizarres, les mythes les plus étranges traduisent quelque besoin humain, quelque aspect de la vie soit individuelle soit sociale. Les raisons que le fidèle se donne à lui-même pour les justifier peuvent être, et sont même le plus souvent, erronées ; les raisons vraies ne laissent pas d’exister ; c’est affaire à la science de les découvrir.

Il n’y a donc pas, au fond, de religions qui soient fausses. Toutes sont vraies à leur façon : toutes répondent, quoique de manières différentes, à des conditions données de l’existence humaine. Sans doute, il n’est pas impossible de les disposer suivant un ordre hiérarchique. Les unes peuvent être dites supérieures aux autres en ce sens qu’elles mettent en jeu des fonctions mentales plus élevées, qu’elles sont plus riches d’idées et de sentiments, qu’il y entre plus de concepts, moins de sensations et d’images, et que la systématisation en est plus savante. Mais, si réelles que soient cette complexité plus grande et cette plus haute idéalité