Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/131

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dominé par elles. Il croit pouvoir, comme nous l’avons dit déjà, faire la loi aux éléments, déchaîner le vent, forcer la pluie à tomber, arrêter le Soleil par un geste, etc.[1]. La religion elle-même contribue à lui donner cette sécurité ; car elle est censée l’armer de pouvoirs étendus sur la nature. Les rites sont, en partie, des moyens destinés à lui permettre d’imposer ses volontés au monde. Loin donc qu’elles soient dues au sentiment que l’homme aurait de sa petitesse en face de l’univers, les religions s’inspirent plutôt du sentiment contraire. Même les plus élevées et les plus idéalistes ont pour effet de rassurer l’homme dans sa lutte avec les choses : elles professent que la foi est, par elle-même, capable « de soulever les montagnes », c’est-à-dire de dominer les forces de la nature. Comment pourraient-elles donner cette confiance si elles avaient pour origine une sensation de faiblesse et d’impuissance ?

D’ailleurs, si vraiment les choses de la nature étaient devenues des êtres sacrés en raison de leurs formes imposantes ou de la force qu’elles manifestent, on devrait constater que le Soleil, la Lune, le ciel, les montagnes, la mer, les vents, en un mot les grandes puissances cosmiques, furent les premières à être élevées à cette dignité ; car il n’en est pas qui soient plus aptes à frapper les sens et l’imagination. Or, en fait, elles n’ont été divinisées que tardivement. Les premiers êtres auxquels s’est adressé le culte — on en aura la preuve dans les chapitres qui vont suivre — sont d’humbles végétaux ou des animaux vis-à-vis desquels l’homme se trouvait, pour le moins, sur le pied d’égalité : c’est le canard, le lièvre, le kangourou, l’émou, le lézard, la chenille, la grenouille, etc. Leurs qualités objectives ne sauraient évidemment être l’origine des sentiments religieux qu’ils ont inspirés.

  1. Nous verrons, en parlant des rites et de la foi en leur efficacité, comment s’expliquent ces illusions (v. liv. II, chap. II).