Si maintenant nous rapprochons ces interdictions diverses de celles dont l’emblème totémique est l’objet, il apparaît, contrairement à ce qu’on pouvait prévoir, que ces dernières sont plus nombreuses, plus strictes, plus sévèrement impératives que les premières. Les figures de toute sorte qui représentent le totem sont entourées d’un respect sensiblement supérieur à celui qu’aspire l’être même dont ces figurations reproduisent la forme. Les churinga, le nurtunja, la waninga ne doivent jamais être maniés par les femmes ou les non-initiés qui ne sont même autorisés à les entrevoir que très exceptionnellement et à distance respectueuse. Au contraire, la plante ou l’animal dont le clan porte le nom peuvent être vus et touchés par tout le monde. Les churinga sont conservés dans une sorte de temple, au seuil duquel tous les bruits de la vie profane viennent mourir ; c’est le domaine des choses saintes. Au contraire, animaux et plantes totémiques vivent sur le terrain profane et sont mêlés à la vie commune. Et comme le nombre et l’impor-
contact dont nous venons de rapporter quelques exemples soient de
nature proprement totémique ; car plusieurs d’entre elles n’ont pas de
rapports directs avec l’animal qui sert de totem au clan. Ainsi, dans
un sous-clan de l’Aigle, l’interdiction caractéristique consiste à ne pouvoir
toucher une tête de buffle (Dorsey, op. cit., p. 239) ; dans un autre
sous-clan qui a le même totem, on ne peut toucher le vert-de-gris, le
charbon de bois, etc. (ibid., p. 245).
Nous ne parlons pas d’autres interdictions que mentionne Frazer,
comme celles de nommer ou de regarder un animal ou une plante, car
il est encore moins sûr qu’elles soient d’origine totémique, sauf peut-être
pour ce qui concerne certains faits observés chez les Bechuana (Totemism,
p. 12-13). Frazer admettait trop facilement alors — et il a eu, sur
ce point, des imitateurs — que toute interdiction de manger ou de toucher
un animal dépend nécessairement de croyances totémiques. Il y a,
cependant, un cas en Australie, où la vue du totem paraît prohibée.
D’après Strehlow (II, p. 59), chez les Arunta et les Loritja, un homme
qui a pour totem la Lune ne doit pas la regarder longtemps ; autrement,
il s’exposerait à mourir de la main d’un ennemi. Mais c’est, croyons-nous,
un cas unique. Il ne faut pas perdre de vue, d’ailleurs, que les
totems astronomiques ne sont vraisemblablement pas primitifs en Australie ;
cette prohibition pourrait donc être le produit d’une élaboration
complexe. Ce qui confirme cette hypothèse, c’est que, chez les Euahlayi,
l’interdiction de regarder la Lune s’applique à toutes les mères
et à tous les enfants, quels que soient leurs totems (L. Parker, The Euahlayi, p. 53).