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toutes les femmes de Djeetgùn[1]. Le premier observateur qui ait, dès 1834, signalé cette curieuse institution la décrivait dans les termes suivants : « Tilmun, un petit oiseau de la grandeur d’une grive (c’est une sorte de pic), est considéré par les femmes comme ayant été le premier à faire des femmes. Ces oiseaux sont tenus en vénération par les femmes seulement »[2]. C’était donc un grand ancêtre. Mais par un autre côté, ce même totem se rapproche du totem individuel. On croit, en effet, que chaque membre du groupe sexuel est lié personnellement à un individu déterminé de l’espèce animale correspondante. Les deux vies sont si étroitement associées que la mort de l’animal entraîne celle de l’homme. « La vie d’une chauve-souris, disent les Wotjobaluk, c’est la vie d’un homme »[3]. C’est pourquoi non seulement chaque sexe respecte son totem, mais il oblige les membres de l’autre sexe à le respecter également. Toute violation de cet interdit donne lieu, entre hommes et femmes[4] à de véritables et sanglantes batailles.

En définitive, ce qu’ont de vraiment original ces totems, c’est qu’ils sont, en un sens, des sortes de totems tribaux. En effet, ils viennent de ce qu’on se représente la tribu comme issue tout entière d’un couple d’êtres mythiques. Un telle croyance semble bien impliquer que le sentiment tribal a pris assez de force pour prévaloir, dans une certaine mesure, contre le particularisme des clans. Quant au fait qu’une origine distincte est assignée aux hommes et aux femmes, il faut, sans doute, en chercher la raison dans l’état de séparation où vivent les sexes[5].

  1. Kamilaroi and Kurnai, p. 215.
  2. Threlldke, cité par Mathews, loc. cit., p. 339.
  3. Howitt, Nat. Tr., p. 148, 151.
  4. Kamilaroi and Kurnai, p. 200-203 ; Howitt, Nat. Tr., p. 149 ; Petrie, op. cit., p. 62. Chez les Kurnai, ces luttes sanglantes se terminent souvent par des mariages dont elles sont comme le prodrome rituel. Parfois aussi, ces batailles deviennent de simples jeux (Petrie, loc. cit.).
  5. V. sur ce point notre étude sur : La prohibition de l’inceste et ses origines, in Année sociol., I, p. 44 et suiv.