Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/251

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pèce totémique sont l’objet de rites, ce n’est pas parce que des âmes ancestrales sont censées y résider. Il est vrai que ces premiers ancêtres sont souvent représentés sous forme animale, et cette représentation, qui est très fréquente, est un fait important dont il nous faudra rendre compte ; mais ce n’est pas la croyance à la métempsycose qui peut y avoir donné naissance, puisqu’elle est inconnue des sociétés australiennes.

D’ailleurs, bien loin de pouvoir expliquer le totémisme, cette croyance suppose elle-même un des principes fondamentaux sur lesquels il repose ; c’est-à-dire qu’elle prend pour accordé cela même qu’il faut expliquer. Tout comme le totémisme, en effet, elle implique que l’homme est conçu comme étroitement parent de l’animal ; car si ces deux règnes étaient nettement distingués dans les esprits, on ne croirait pas que l’âme humaine peut passer de l’un dans l’autre avec cette facilité. Il faut même que le corps de l’animal soit considéré comme sa véritable patrie, puisqu’elle est censée s’y rendre dès qu’elle a repris sa liberté. Or, si la doctrine de la transmigration postule cette singulière affinité, elle n’en rend aucunement compte. La seule raison qu’en donne Tylor, c’est que l’homme, parfois, rappelle certains traits de l’anatomie et de la psychologie de l’animal. « Le sauvage, dit-il, observe avec un étonnement sympathique les traits à demi humains, les actions et le caractère des animaux. L’animal n’est-il pas l’incarnation même, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de qualités familières à l’homme ; et quand nous appliquons, comme épithète, à certains hommes le nom de lion, d’ours, de renard, de hibou, de perroquet, de vipère, de ver, ne résumons-nous pas, en un mot, quelques traits caractéristiques d’une vie humaine[1] ? » Mais s’il se rencontre, en effet, de ces ressemblances, elles sont incertaines et exceptionnelles ; l’homme ressemble avant tout à ses parents,

  1. Civilisation primitive, II, p. 23.