Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/257

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emblème totémique. Cet emblème, avec les pouvoirs spéciaux qui y sont attachés, serait ensuite passé aux descendants de ce héros mythique par droit d’héritage. Ces peuples semblent donc avoir eux-mêmes dans le totem collectif un totem individuel qui se serait perpétué dans une même famille[1]. En fait, d’ailleurs, il arrive encore aujourd’hui qu’un père transmette son totem propre à ses enfants. En imaginant que, d’une manière générale, le totem collectif a eu cette même origine, on ne fait donc qu’affirmer du passé un fait qui est encore présentement observable[2].

Reste à expliquer d’où vient le totémisme individuel. La réponse faite à cette question varie selon les auteurs.

Hill Tout y voit un cas particulier du fétichisme. Se sentant entouré de toutes parts d’esprits redoutés, l’individu aurait éprouvé le sentiment que, tout à l’heure, Jevons prêtait au clan : pour pouvoir se maintenir, il aurait cherché à s’assurer dans ce monde mystérieux quelque puissant protecteur. C’est ainsi que l’usage du totem personnel se serait établi[3]. Pour Frazer, cette même institution serait plutôt un subterfuge, une ruse de guerre inventée par les hommes pour échapper à certains dangers. On sait que, suivant une croyance très répandue dans un grand nombre de sociétés inférieures, l’âme humaine peut, sans inconvénients, quitter temporairement le corps où elle habite ; si éloignée qu’elle en puisse être, elle continue à l’animer par une sorte d’action à distance. Mais alors, dans certains moments critiques où la vie passe pour être particulièrement menacée, il peut y avoir intérêt à retirer l’âme du corps et à la déposer dans un lieu ou dans un objet où elle serait plus en sûreté. Et il existe, en effet, un certain nombre de pratiques qui ont pour objet d’externer l’âme

  1. Ibid., p. 150. Cf. Vth Rep. on the Physical Characteristics, etc., of the N. W. Tribes of Canada, B.A.A.S., p. 24. Nous avons rapporté plus haut un mythe de ce genre.
  2. J.A.I., XXXV, p. 147.
  3. Proc. a. Transac., etc., VII, 2e section, p. 12.