Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Or, contre l’hypothèse de Hill Tout, de Miss Fletcher, de Boas, de Frazer, il y a un tel concours de faits décisifs que l’on est surpris qu’elle ait pu être si facilement et si généralement acceptée.

Tout d’abord, nous savons que l’homme a très souvent un intérêt pressant non seulement à respecter, mais à faire respecter de ses compagnons les animaux de l’espèce qui lui sert de totem personnel ; il y va de sa propre vie. Si donc le totémisme collectif n’était que la forme généralisée du totémisme individuel, il devrait reposer sur le même principe. Non seulement les gens d’un clan devraient s’abstenir de tuer et de manger de leur animal-totem, mais encore ils devraient faire tout ce qui est en eux pour réclamer des étrangers la même abstention. Or, en fait, bien loin d’imposer ce renoncement à toute la tribu, chaque clan, au moyen de rites que nous décrirons plus loin, veille à ce que la plante ou l’animal dont il porte le nom croisse et prospère, afin d’assurer aux autres clans une alimentation abondante. Il faudrait donc, tout au moins, admettre qu’en devenant collectif le totémisme individuel s’est profondément transformé et il faudrait rendre compte de cette transformation.

En second lieu, comment expliquer de ce point de vue que, sauf là ou le totémisme est en voie de décadence, deux clans d’une même tribu aient toujours des totems différents ? Rien n’empêchait, semble-t-il, deux ou plusieurs membres d’une même tribu, alors même qu’il n’y avait entre eux aucune parenté, de choisir leur totem personnel dans la même espèce animale et de le transmettre ensuite à leurs descendants. N’arrive-t-il pas aujourd’hui que deux familles distinctes portent le même nom ? La manière, strictement réglementée, dont totems et sous totems sont répartis entre les deux phratries d’abord, puis entre les divers clans de chaque phratrie, suppose manifestement une entente sociale, une organisation collective. C’est dire que le totémisme est autre chose qu’une pra-