Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/282

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différent de la précédente qu’en nuances et en degrés.

Les religions indigènes de Samoa ont certainement dépassé la phase totémique. On y trouve de véritables dieux, qui ont des noms propres et, dans une certaine mesure, une physionomie personnelle. Cependant, les traces de totémisme sont difficilement contestables. Chaque dieu, en effet, est attaché à un groupe, soit local soit domestique, tout comme le totem à son clan[1]. Or, chacun de ces dieux est conçu comme immanent à une espèce animale déterminée. Ce n’est pas qu’il réside dans un sujet en particulier : il est dans tous à la fois ; il est diffus dans l’espèce tout entière. Quand un animal meurt, les gens du groupe qui le vénèrent le pleurent et lui rendent de pieux devoirs, parce qu’un dieu habite en lui ; mais le dieu n’est pas mort. Il est éternel comme l’espèce. Il ne se confond même pas avec la génération présente ; il était déjà l’âme de celle qui a précédé comme il sera l’âme de celle qui suivra[2]. Il a donc tous les caractères du principe totémique. C’est un principe totémique que l’imagination a revêtu de formes légèrement personnelles. Encore ne faudrait-il pas s’exagérer une personnalité qui n’est guère conciliable avec cette diffusion et cette ubiquité. Si les contours en étaient nettement arrêtés, elle ne pourrait se disperser ainsi et se répandre à travers une multitude de choses.

Cependant, dans ce cas, il est incontestable que la notion de force religieuse impersonnelle commence à s’altérer ; mais il en est d’autres où elle est affirmée dans sa pureté abstraite et atteint même un bien plus haut degré de généralité qu’en Australie. Si les différents principes totémiques auxquels s’adressent les divers clans d’une même tribu

  1. Frazer emprunte même à Samoa bien des faits qu’il présente comme proprement totémiques (v. Totemism, p. 6, 12-15, 24, etc.). Nous avons dit, il est vrai, que Frazer n’apportait pas toujours une critique suffisante aux choix de ses exemples. Mais de si nombreux emprunts n’auraient évidemment pas été possibles s’il n’y avait pas réellement à Samoa d’importantes survivances de totémisme.
  2. V. Turner, Samoa, p. 21, et chap, IV et V.