Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/315

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rement laïques par nature, furent transformées par l’opinion publique en choses sacrées : c’est la Patrie, la Liberté, la Raison[1]. Une religion tendit d’elle-même à s’établir qui avait son dogme[2], ses symboles[3], ses autels[4] et ses fêtes[5]. C’est à ces aspirations spontanées que le culte de la Raison et de l’Être suprême essaya d’apporter une sorte de satisfaction officielle. Cette rénovation religieuse n’eut, il est vrai, qu’une durée éphémère. Mais c’est que l’enthousiasme patriotique qui, à l’origine, transportait les masses, alla lui-même en s’affaiblissant[6]. La cause disparaissant, l’effet ne pouvait se maintenir. Mais l’expérience, pour avoir été courte, garde tout son intérêt sociologique. Il reste que, dans un cas déterminé, on a vu la société et ses idées essentielles devenir, directement et sans transfiguration d’aucune sorte, l’objet d’un véritable culte.

Tous ces faits permettent déjà d’entrevoir comment le clan peut éveiller chez ses membres l’idée qu’il existe en dehors d’eux des forces qui les dominent et, en même temps, les soutiennent, c’est-à-dire en somme, des forces religieuses : c’est qu’il n’est pas de société dont le primitif soit plus directement et plus étroitement solidaire. Les liens qui l’attachent à la tribu sont plus lâches et plus faiblement ressentis. Bien qu’elle ne soit certainement pas pour lui une étrangère, c’est avec les gens de son clan qu’il a le plus de choses communes ; c’est l’action de ce groupe qu’il sent le plus immédiatement ; c’est donc elle aussi qui, de préférence à tout autre, devait s’exprimer en symboles religieux.

  1. V. Albert Mathiez, Les origines des cultes révolutionnaires (1789-1792).
  2. Ibid., p. 24.
  3. Ibid., p. 29, 32.
  4. Ibid., p. 30.
  5. Ibid., p. 46.
  6. V. Mathiez, La Théophilanthrophie et le culte décadaire, p. 36.