Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/317

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manière la plus tranchée. Dans la première, l’activité économique est prépondérante, et elle est généralement d’une très médiocre intensité. La collecte des graines ou des herbes nécessaires à l’alimentation, la chasse ou la pêche ne sont pas des occupations qui peuvent éveiller de bien vives passions[1]. L’état de dispersion ou se trouve alors la société achève de rendre la vie uniforme, languissante et terne[2]. Mais qu’un corrobbori ait lieu et tout change. Parce que les facultés émotives et passionnelles du primitif ne sont qu’imparfaitement soumises au contrôle de sa raison et de sa volonté, il perd aisément la maîtrise de soi. Un événement de quelque importance le met tout de suite hors de lui. Reçoit-il une heureuse nouvelle ? Ce sont des transports d’enthousiasme. Dans le cas contraire, on le voit courir çà et là comme un fou, se livrer à toutes sortes de mouvements désordonnés, crier, hurler, ramasser de la poussière, la jeter dans toutes les directions, se mordre, brandir ses armes d’un air furieux, etc.[3]. Or, le seul fait de l’agglomération agit comme un excitant exceptionnellement puissant. Une fois les individus assemblés il se dégage de leur rapprochement une sorte d’électricité qui les transporte vite à un degré extraordinaire d’exaltation. Chaque sentiment exprimé vient retentir, sans résistance, dans toutes ces consciences largement ouvertes aux impressions extérieures : chacune d’elles fait écho aux autres et réciproquement. L’impulsion initiale va ainsi s’amplifiant à mesure qu’elle se répercute, comme une avalanche grossit à mesure qu’elle avance. Et comme des passions aussi vives et aussi affranchies de tout contrôle ne peuvent pas ne pas se répandre au dehors, ce ne sont, de

  1. Sauf dans le cas de grandes chasses à battue.
  2. « The peaceful monotony of this part of his life », disent Spencer et Gillen (North. Tr., p. 33).
  3. Howitt, Nat. Tr., p. 683. Il s’agit, en l’espèce, des démonstrations qui ont lieu quand une ambassade, dépêchée vers un groupe d’étrangers, rentre au camp avec la nouvelle d’un résultat favorable. Cf. Brough Smyth, I, p. 138 ; Schulze, loc. cit., p. 222.