Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/327

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totémique, comment sa chair passe pour avoir des vertus positives que les rites utilisent : c’est qu’il ressemble l’emblème du clan, c’est-à-dire à sa propre image. Et comme il y ressemble naturellement plus que l’homme, il se trouve aussi d’un rang au-dessus dans la hiérarchie des choses sacrées. Sans doute, il y a entre ces deux êtres une étroite parenté puisqu’ils communient dans la même essence : tous deux incarnent quelque chose du principe totémique. Seulement, parce que ce principe lui-même est conçu sous une forme animale, l’animal paraît l’incarner plus éminemment que l’homme. C’est pourquoi, si l’homme le considère et le traite comme un frère, c’est, du moins, comme un frère aîné[1].

Mais si le principe totémique a son siège d’élection dans une espèce animale ou végétale déterminée, il ne pouvait y rester localisé. Le caractère sacré est, au plus haut degré, contagieux[2] ; il s’étendit donc de l’être totémique à tout ce qui y tient de près ou de loin. Les sentiments religieux qu’inspirait l’animal se communiquèrent aux substances dont il se nourrit et qui servent à faire ou à refaire sa chair et son sang, aux choses qui lui ressemblent, aux êtres divers avec lesquels il est constamment en rapports. C’est ainsi que peu à peu, aux totems se rattachèrent les sous-totems et que se constituèrent ces systèmes cosmogoniques que traduisent les classifications primitives. Finalement, le monde entier se trouva partagé entre les principes totémiques de la même tribu.

On s’explique maintenant d’où vient l’ambiguïté que pré-

  1. On voit que cette fraternité est une conséquence logique du totémisme, loin d’en être le principe. Les hommes ne se sont pas cru des devoirs envers les animaux de l’espèce totémique, parce qu’ils s’en croyaient parents ; mais ils imaginèrent cette parenté pour s’expliquer à eux-mêmes la nature des croyances et des rites dont ces animaux étaient l’objet. L’animal a été considéré comme un congénère de l’homme parce qu’il était un être sacré comme l’homme ; mais il n’a pas été traité comme un être sacré parce qu’on voyait en lui un congénère.
  2. V. plus bas, liv. III, chap. Ier, § III.