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le rocher qui soutiennent ce rapport mystique avec le héros disparu. Parfois, c’est un trou d’eau qui passe pour s’être formé de cette façon. Or, sur chacun de ces arbres, de ces rochers, dans chacun de ces trous d’eau, vivent des embryons d’enfants, appelés ratapa[1], qui appartiennent exactement au même totem que l’ancêtre correspondant. Par exemple, sur un gommier qui représente un ancêtre du clan du Kangourou, se trouvent des ratapa qui ont tous le Kangourou pour totem. Qu’une femme vienne à passer, et, si elle est de la classe matrimoniale à laquelle doivent régulièrement appartenir les mères de ces ratapa[2] l’un d’eux pourra s’introduire en elle par la hanche. La femme est avertie de cette prise de possession par des douleurs caractéristiques qui sont les premiers symptômes de la grossesse. L’enfant ainsi conçu sera naturellement du même totem que l’ancêtre sur le corps mystique duquel il résidait avant de s’incarner[3].

Dans d’autres cas, le procédé employé est légèrement différent : c’est l’ancêtre lui-même qui opère en personne. À un moment donné, il sort de sa retraite souterraine et lance sur une femme qui passe un petit churinga, d’une

  1. Strehlow traduit par Kinderkeime (germes d’enfants). Il s’en faut, d’ailleurs, que Spencer et Gillen aient ignoré le mythe des ratapa et les coutumes qui s’y rattachent. Ils nous en parlent explicitement dans Nat. Tr., p. 366 et suiv. et p. 552. Ils signalent, sur différents points du territoire arunta, l’existence de rochers appelés Erathipa, d’où se dégagent des spirit children, des âmes d’enfants, qui introduisent dans le corps des femmes et les fécondent. Suivant Spencer et Gillen, Erathipa signifierait enfant, quoique, ajoutent-ils, ce mot ne soit que rarement employé avec ce sens dans la conversation courante (ibid., p. 338).
  2. Les Arunta sont répartis tantôt en quatre, tantôt en huit classes matrimoniales. La classe d’un enfant est déterminée par celle de son père ; inversement, de la première on peut déduire la seconde. (v. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 70 et suiv. ; Strehlow, I, p. 6 et suiv.). Reste à savoir comment le ratapa a une classe déterminée ; nous revenons plus loin sur ce point.
  3. Strehlow, II, p. 52. Il arrive parfois, mais rarement, que des contestations s’élèvent sur la nature du totem de l’enfant. Strehlow en cite un cas (p. 53).