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devient l’enfant. Et ainsi nous revenons à la conception de Spencer et Gillen : la naissance est due à l’incarnation d’un personnage ancestral. Sans doute, ce n’est pas ce personnage tout entier qui s’incarne ; ce n’en est qu’une émanation. Mais la différence est d’un intérêt tout à fait secondaire, puisque, quand un être sacré se divise et se dédouble, il se retrouve, avec tous ses caractères essentiels, dans chacun des fragments entre lesquels il s’est partagé. L’ancêtre de l’Alcheringa est donc, au fond, tout entier dans cet élément de lui-même qui devient un ratapa[1].

Le second mode de conception, distingué par Strehlow, a la même signification. Le churinga, en effet, et, spécialement, ce churinga particulier qu’on appelle le namatuna, est considéré comme un avatar de l’ancêtre ; c’en est le corps, suivant Strehlow[2] tout comme l’arbre nanja. En d’autres termes, la personnalité de l’ancêtre, son churinga, son arbre nanja sont des choses sacrées, qui inspirent les mêmes sentiments et auxquelles on attribue la même valeur religieuse. Aussi se transforment-elles les unes dans les autres : là où l’ancêtre a perdu un churinga, un arbre ou un rocher sacrés sont sortis de terre, tout comme aux endroits où il s’est lui-même abîmé dans le sol[3]. Il y a donc une équivalence mythique entre un personnage de l’Alcheringa et son churinga ; par suite, quand

  1. La différence entre les deux versions s’atténue encore et se réduit presque à rien si l’on remarque que, quand Spencer et Gillen nous disent que l’âme ancestrale s’incarne dans le corps de la femme, les expressions dont ils se servent ne doivent pas être prises à la lettre. Ce n’est pas l’âme tout entière qui vient féconder la mère, mais seulement une émanation de cette âme. En effet, de leur aveu, une âme, égale en pouvoirs et même plutôt supérieure à celle qui s’est incarnée, continue à résider dans l’arbre ou le rocher nanja (V. Nat. Tr., p. 514) ; nous aurons l’occasion de revenir sur ce point (cf. plus bas, p. 393).
  2. Il, p. 76, 81. Suivant Spencer et Gillen, le churinga serait non le corps de l’ancêtre, mais l’objet dans lequel réside l’âme de ce dernier. Ces deux interprétations mythiques sont, au fond, identiques et on voit aisément comment on a pu passer de l’une à l’autre : le corps est le lieu où réside l’âme.
  3. Strehlow, I, p. 4.