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cipe totémique qui est leur commune essence. Le langage lui-même exprime cette identité. Le mot de ratapa et, dans la langue des Loritja, celui de aratapi, désignent l’embryon mythique qui se détache de l’ancêtre et qui devient l’enfant ; or les mêmes mots désignent aussi le totem de ce même enfant, tel qu’il est déterminé par l’endroit où la mère croit avoir conçu[1].

III

Dans ce qui précède, il est vrai, la doctrine de la réincarnation n’a été étudiée que dans les tribus de l’Australie centrale ; on pourrait donc juger trop étroites les bases sur lesquelles repose notre inférence. Mais d’abord, pour les raisons que nous avons exposées, l’expérience a une portée qui s’étend au-delà des sociétés que nous avons directement observées. De plus, les faits abondent qui établissent que les mêmes conceptions ou des conceptions analogues se rencontrent sur les points les plus divers de l’Australie ou y ont, tout au moins, laissé des traces apparentes. On les retrouve jusqu’en Amérique.

Dans l’Australie méridionale, Howitt les signale chez les Dieri[2]. Le mot de Mura-mura, que Gason traduisait par Bon-Esprit et où il croyait voir exprimée la croyance en un dieu créateur[3], est, en réalité, un nom collectif qui désigne la multitude des ancêtres que le mythe place à l’origine de la tribu. Ils continuent à exister aujourd’hui comme autrefois. « On croit qu’ils habitent dans des arbres qui, pour cette raison, sont sacrés. » Certaines dispositions du sol, des rochers, des sources sont identifiées avec ces

  1. Strehlow, II, p. 57, 60, 61. La liste des totems est appelée par Strehlow la liste des ratapa.
  2. Howitt, Nat. Tr., p. 475 et suiv.
  3. The Manners and Customs of Ihe Dieyerie Tribe of Australian Aborigines, in Curr, II, p. 47.