Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/477

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ment les animaux et les plantes qui servaient de totems à ces mêmes ancêtres, puisqu’un individu et son totem ne font qu’un. On leur prête donc la même réalité, les mêmes propriétés qu’aux animaux ou aux plantes de même sorte qui vivent actuellement. Mais ils ont sur ces derniers cet avantage d’être impérissables, de ne pas connaître la maladie et la mort. Ils constituent donc comme une réserve permanente, immuable et toujours disponible de vie animale et végétale. Aussi, est-ce à cette réserve que, dans un certain nombre de cas, on va annuellement puiser pour assurer la reproduction de l’espèce.

Voici, par exemple, comment, à Alice Springs, le clan de la Chenille witchetty procède à son Intichiuma[1].

Au jour fixé par le chef, tous les membres du groupe totémique s’assemblent au camp principal. Les hommes des autres totems se retirent à quelque distance[2] ; car, chez les Arunta, il leur est interdit d’être présents à la célébration du rite qui a tous les caractères d’une cérémonie secrète. Un individu d’un totem différent, mais de la même phratrie, peut bien être invité, par mesure gracieuse, à y assister ; mais c’est seulement en qualité de témoin. En aucun cas, il n’y peut ajouter un rôle actif.

Une fois que les gens du totem sont assemblés, ils se mettent en route, ne laissant au camp que deux ou trois d’entre eux. Tout nus, sans armes, sans aucun de leurs ornements habituels, ils s’avancent les uns derrière les autres, dans un profond silence. Leur attitude, leur démarche sont empreintes d’une gravité religieuse : c’est que l’acte auquel ils prennent part a, à leurs yeux, une exceptionnelle importance. Aussi, jusqu’à la fin de la cérémonie, sont-ils tenus d’observer un jeûne rigoureux.

Le pays qu’ils traversent est tout rempli de souvenirs laissés par les glorieux ancêtres. Ils arrivent ainsi à un

  1. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 170 et suiv.
  2. Bien entendu, les femmes sont soumises à la même obligation.