Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/486

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sans réserve. On croit que toute violation de cet interdit aurait pour résultat de neutraliser les heureux effets du rite et d’arrêter la croissance de l’espèce. Les gens des autres totems qui se trouvent dans la même localité ne sont pas, il est vrai, soumis à la même prohibition. Cependant, à ce moment, leur liberté est moindre qu’à l’ordinaire. Ils ne peuvent consommer l’animal totémique en un lieu quelconque, par exemple dans la brousse ; mais ils sont tenus de l’apporter au camp et c’est là seulement qu’il doit être cuit[1].

Une dernière cérémonie vient mettre un terme à ces interdits extraordinaires et clore définitivement cette longue série de rites. Elle varie quelque peu suivant les clans ; mais les éléments essentiels en sont partout les mêmes. Voici deux des principales formes qu’elle présente chez les Arunta. L’une se rapporte à la Chenille witchetty, l’autre au Kangourou.

Une fois que les chenilles sont arrivées à la pleine maturité et qu’elles se montrent en abondance, les gens du totem, aussi bien que les étrangers, vont en ramasser le plus possible ; puis tous rapportent au camp celles qu’ils ont trouvées et ils les font cuire jusqu’à ce qu’elles deviennent dures et cassantes. Les produits de la cuisson sont conservés dans des espèces de vaisseaux de bois appelés pitchi. La récolte des chenilles n’est possible que pendant un temps très court, car elles n’apparaissent qu’après la pluie. Quand elles commencent à devenir moins nombreuses, l’Alatunja convoque tout le monde au camp des hommes ; sur son invitation, chacun apporte sa provision. Les étrangers déposent la leur devant les gens du totem. L’Alatunja prend un de ces pitchi et, avec l’aide de ses compagnons, en moud le contenu entre deux pierres ; après quoi, il mange un peu de la poudre ainsi obtenue, ses assistants en font autant, et le reste est remis aux gens des

  1. Nat. Tr., p. 203. Cf. Meyer, The Encounter Bay Tribe, in Woods, p. 187.