Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/495

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d’où tous les autres types de sacrifice sont sortis. Mais si l’universalité du rite est hypothétique, l’existence n’en est plus contestable. On doit désormais regarder comme établi que la forme la plus mystique de la communion alimentaire se rencontre dès la religion la plus rudimentaire qui soit présentement connue.

IV

Mais sur un autre point, les faits nouveaux dont nous disposons infirment les théories de Smith.

Suivant lui, en effet, la communion ne serait pas seulement un élément essentiel du sacrifice ; elle en serait, au moins à l’origine, l’élément unique. Non seulement on se serait mépris quand on réduisait le sacrifice à n’être qu’un tribut ou une offrande, mais encore l’idée d’offrande en serait primitivement absente ; elle ne serait intervenue que tardivement, sous l’influence de circonstances extérieures, et elle masquerait la nature véritable de ce mécanisme rituel, loin qu’elle pût aider à le comprendre. Smith croyait, en effet, apercevoir dans la notion même d’oblation une absurdité trop révoltante pour qu’il fût possible d’y voir la raison profonde d’une aussi grande institution. Une des fonctions les plus importantes qui incombent à la divinité est d’assurer aux hommes les aliments qui leur sont nécessaires pour vivre ; il paraît donc impossible que le sacrifice, à son tour, consiste en une présentation d’aliments à la divinité. Il semble contradictoire que les dieux attendent de l’homme leur nourriture, quand c’est par eux qu’il est nourri. Comment auraient-ils besoin de son concours pour prélever leur juste part sur les choses qu’il reçoit de leur mains ? De ces considérations Smith concluait que l’idée du sacrifice-offrande n’avait pu naître que dans les grandes religions, où les dieux, dégagés des choses avec lesquelles ils se confondaient primitivement, furent conçus comme des sortes de