Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/497

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son être spirituel. Ainsi, c’est lui qui fait ses dieux, peut-on dire, ou, du moins, c’est lui qui les fait durer ; mais, en même temps, c’est par eux qu’il dure. Il commet donc régulièrement le cercle qui, suivant Smith, serait impliqué dans la notion même du tribut sacrificiel : il donne aux êtres sacrés un peu de ce qu’il reçoit d’eux et il reçoit d’eux tout ce qu’il leur donne.

Il y a plus : les oblations qu’il est ainsi tenu de faire annuellement ne diffèrent pas en nature de celles qui se feront plus tard dans les sacrifices proprement dits. Si le sacrifiant immole une bête, c’est pour que les principes vivants qui sont en elle se dégagent de l’organisme et s’en aillent alimenter la divinité. De même, les grains de poussière que l’Australien détache du rocher sacré sont autant de principes qu’il disperse dans l’espace pour qu’ils aillent animer l’espèce totémique et en assurer le renouvellement. Le geste par lequel se fait cette dispersion est aussi celui qui accompagne normalement les offrandes. Dans certains cas, la ressemblance entre les deux rites se retrouve jusque dans le détail des mouvements effectués. Nous avons vu que, pour avoir de la pluie, le Kaitish verse de l’eau sur une pierre sacrée ; chez certains peuples, le prêtre, dans le même but, verse de l’eau sur l’autel[1]. Les effusions de sang, qui sont usitées dans un certain nombre d’Intichiuma, constituent de véritables oblations. De même que l’Arunta ou le Dieri arrosent de sang le rocher sacré ou le dessin totémique, il arrive souvent, dans des cultes plus avancés, que le sang de la victime sacrifiée ou du fidèle lui-même est répandu soit devant soit sur l’autel[2]. Dans ce cas, il est donné aux dieux dont il est l’aliment préféré ; en Australie, il est donné à

  1. R. Smith en cite lui-même des cas dans The Relig. of the Semites, p. 231.
  2. V. par exemple Exode, XXIX, 10-14 ; Lévitique, IX, 8-11 ; c’est leur sang même que versent sur l’autel les prêtres de Baal (I, Rois, XVII I, 28).