Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/504

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perpétuellement. Certes, ce ne sont pas les oblations matérielles qui, par leurs vertus propres, produisent cette réfection ; ce sont les états mentaux que ces manœuvres, vaines par elles-mêmes, réveillent ou accompagnent. La raison d’être véritable des cultes, même les plus matérialistes en apparence, ne doit pas être recherchée dans les gestes qu’ils prescrivent, mais dans le renouvellement intérieur et moral que ces gestes contribuent à déterminer. Ce que le fidèle donne réellement à son dieu, ce ne sont pas les aliments qu’il dépose sur l’autel, ni le sang qu’il fait couler de ses veines : c’est sa pensée. Il n’en reste pas moins qu’entre la divinité et ses adorateurs il y a un échange de bons offices qui se conditionnent mutuellement. La règle do ut des, par laquelle on a parfois défini le principe du sacrifice, n’est pas une invention tardive de théoriciens utilitaires : elle ne fait que traduire, d’une manière explicite, le mécanisme même du système sacrificiel et, plus généralement, de tout le culte positif. Le cercle signalé par Smith est donc bien réel ; mais il n’a rien d’humiliant pour la raison. Il vient de ce que les êtres sacrés, tout en étant supérieurs aux hommes, ne peuvent vivre que dans des consciences humaines.

Mais ce cercle nous apparaîtra comme le plus naturel encore et nous en comprendrons mieux le sens et la raison d’être, si, poussant l’analyse plus loin et substituant aux symboles religieux les réalités qu’ils expriment, nous cherchons comment celles-ci se comportent dans le rite. Si, comme nous avons essayé de l’établir, le principe sacré n’est autre chose que la société hypostasiée et transfigurée, la vie rituelle doit pouvoir s’interpréter en termes laïcs et sociaux. Et en effet, tout comme cette dernière, la vie sociale se meut dans un cercle. D’une part, l’individu tient de la société le meilleur de soi-même, tout ce qui lui fait une physionomie et une place à part parmi les autres êtres, sa culture intellectuelle et morale. Qu’on retire à l’homme le langage, les sciences, les arts, les croyances de la morale, et il tombe